Il
partit...
Voyage Roncesvalles
...
Il est là seul, bravant les routes de mille dangers, bravant les caprices du temps, bravant son double qui l'exhorte d'abandonner.
Elle
Elle s'endort son coquillage serré dans sa main. Elle n'a pas eu le temps
d' enlever ses braies raidies par la boue, la sueur. A peine a -t-elle enlevé des sabots, ses pieds meurtris, qu'elle sombrât dans un sommeil agité sur cette cadière de paille, devant l'âtre.
La paillasse non loin reste désespérément vide de toutes étreintes. La paille ne possède plus l'or de l'été des saisons heureuses. Elle a été pillé par le labeur et la crasse. Les murs de
pierres ne se cachent plus derrière des tentures mais des brèches laissent passer le froid et le lierre. La cheminée ne crache plus de veaux entiers mais de la fumée âpre qui vous griffe les
narines et les yeux. Une table, une panière et un banc, seuls mobiliers sauvés du domaine aigaient la demeure, jadis prospère. La toiture, alourdie des poutres de chênes, se
ploie, maintenant, aux rigueurs de l'hiver. Le Chaume résistera – t- il encore longtemps ? Pourquoi cette déchéance ? Qu'est-il arrivé au domaine de
Sorgiente.
Les deux seuls domestiques, fidèles à la mémoire de l'ancien maître, Père de ce jeune fougueux mari
voyageur, sont trop vieux , désormais, pour monter la garde. Ils dorment, pauvres ères dans une hutte ,à coté, à même le sol, sur cette terre battue qui supporte leurs nuits et les fientes de
quelques gélines.
Le foyer se meurt il n'y a plus de quoi le nourrir, le bois est
taxé par le seigneur des hautes terres, il ne reste que des maigres branches vertes qui enfument plus qu'elles ne chauffent. Dehors la nuit enveloppe tout. Le domaine, happé par l'obscurantisme
de l'époque et encerclé par les meutes de loups, est la proie des rustauds, des ventripotents seigneurs qui ne recherchent que le plaisirs volé, violé. Ils veulent les richesses de ces terres
en jachère et cette source tapie au fond des bois, source miraculeuse que beaucoup convoitent. Source venue du fonds des siècles pour vous abreuver à la jouvence éternelle.
Ce soir, la voûte céleste gronde sa colère. L'orage n'est pas loin, il patiente.
Elle et ses deux fidèles n'entendirent pas cette chevauchée nocturne. Ils n'entendirent pas ces chevaux rendus écumant par la violence de la course avec leurs yeux exorbités de ne pouvoir dompter leur propre course. Ils n'entendirent pas ses hurlements d'hommes en rut qui à défaut de guerre dans les terres voisines préfèrent terroriser, brimer, les pauvres gens de leur comté. Par manque de batailles, ils brutalisent tous ce qu'ils voient, flairent, jalousent. Cela fait longtemps que ce comte des hautes combes veut posséder cette petite femelle de petite lignée revêche. Trop belle pour cet abruti de mari, parti courir on ne sait quelle quête de pardon dans les terres sarrasines, ces terres infidèles.
Trop belle trop désirable il la veut et l'aura. Cela fait presqu'un an qu'elle le repousse et se refuse à lui. Cette nuit elle sera sienne. Suffit ses airs de fière sauvageonne, elle retrouvera son rang de femme soumise, ce soir il pénétrera son domaine et son corps. Ses riches terres et sa source lui seront, alors, acquises, à lui le Comte des hautes Combes. Il dominera et possédera la Sorgiente.
Un fracas de bois explosé ramène, du sommeil profond, celle qui se croyait libre. L'enfer est rentré dans sa demeure, il est à l'huis. Une sueur froide raidit sa nuque. Une armure, une bête la guète. Elle est acculée dans cet espace clos. Un moment, elle est résignée.
Mais elle se redresse fière, son coquillage lui coupe sa ligne de vie blottie dans sa paume. Elle ne ferme pas les yeux car son arme c'est son regard, son azur tranchant, son âme volontaire.
« Crois-tu Comte, qu'en me transperçant de ton braquemart tu posséderas mon âme, ma source et mon domaine ? Crois-tu qu'en trempant ton membre dans mon calice, tu pourras goûter à la jouissance éternelle ? Tu ne feras que souffler, cracher, piller. Rien ne te sera donné et jamais tu ne connaîtras la vérité, le secret de la source. Que le feu de l'enfer t'emporte.»
Tout alla très vite, des cris d'effrois dans la hutte voisine, un hennissement au loin, une main gantée
de maille prête à saisir la belle effrontée, un grésillement et une lumière aveuglante. De cette main haineuse élevée il ne reste qu'une brochette de doigts noircis.
La foudre s'abat au hasard.
Le chaume prend feu, le comte se consume, son braquemart avec lui.
Les soldats en armes terrorisés par le fracas céleste s'enfuirent, la queue entre leur débâcle intestinale. "Le domaine est maudit, la belle est une sorcière. "
Sorgiente est sauvée. La source restera tapie dans les bois. Mais qu'en est-il du domaine ? Un incendie, des pierres
éclatées, des serviteurs égorgés, des gélines à la dérive et un Maitre en errance.
Elle reste seule avec son coquillage. Une larme furtive coule sur sa joue. Elle tourne le dos à cette demeure, elle s'enfonce dans les bois. Elle va rejoindre sa source sécrète. Sa simplex
véritas.
LUI :
D'une cellule, tapie dans le noir, jaillit un hurlement de peur, suivit d'une respiration haletante et tourmentée. L'inquiétude sourd dans ces lieux bâtis pour le repos de l'âme.
Sur cette paillasse de bois dur, il se retrouve assis, ses yeux cherchant
avidement une lumière salvatrice.
Et sa peau ,en fleur de sel, s'encolle avec sa chemise de lin, d'avoir trop sué.
Sur sa poitrine, une brûlure intense. Son coquillage le consume, le marque au
fer rouge. Mais c'est une ligne de sang qui coule sur son plexus solaire.
Il ressent au fond de lui, une immense tristesse, un abandon, une angoisse
indéchiffrable, innommable. Son coeur bat au rythme d'un tambour sauvage, d'un galop sans frontière.
"Il est arrivé malheur à mon domaine, ma femme n'est plus".
Dehors l'orage bat à tout rompre sur le rocher surplombant le monastère de Saint Jean de la Peña, blotti dans la sauvage sierra, à 1200m d’altitude. Dans cet écrin Aragonais le monastère
apparaît minuscule sous le surplomb du rocher et ce jour sous la menace de l'orage, de la foudre il n'est pas loin de se fondre entièrement dans la roche.
La foudre se moque des lieux saints, elle tombe au hasard des chemins et aujourd'hui elle choisit le
camino Aragones des Chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle. Là, elle décida de gommer d'une seule zébrure la croix d'une des trois petites chapelles. Les vitraux à l'impact, éclatèrent
en millions d'étoiles de couleurs, le parterre sobre se chargea en tapis
d'Orient...
Il prit sa tête entre ses mains et se mit à pleurer comme ce ciel, bramant de ces nuages noirs toute sa misère, sa peine, ses contritions, ses remords
cumulés depuis ces derniers jours , ces dernières décennies. Qu'a-t-il fait ? Il se redresse, maigre, son port déchu, il court pieds nus dans les dédales du monastère, s'y perd longtemps. Il traverse, enfin, la porte mozarabe du cloître. Il cherche la chapelle, il recherche la prière... enfin, le Saint Lieu.
Le désastre, le chaos y règnent. Il quête le tabernacle, sombre charbon,
tout le bois se consume, il ne sent pas les verres coupants sous ses pieds déjà meurtris. Le ciboire gît
à même le sol sans son couvercle, vomissant non plus les saintes hosties mais des miettes noircies. L'ostensoir non loin ne reflète plus le soleil à travers sa chambre de cristal rouge, il
n'accueille plus la custode, ce médaillon, pourtant en or. Elle a fondu, elle n'est qu'une bave de métal déformé. L'encensoir, cette petite cassolette , tremble suspendu par
une seule chaîne. D'ordinaire l'encens brûle , la fumée odoriférante monte vers le ciel, légère comme les prières et les adorations. Mais là , la fumerolle n'est que poussière
et tombe en poudre lourde sur le sol, vers la noirceur d'Ades.
Il tombe à genoux puis s'enferme en foetus sur ce carrelage, il sombre. Il se vide de ses larmes et de sa foi. Aride et sec, il gît parmis les décombres.
°°°... L’homme gémit. Il n’entendait que le crissement des vitraux brisés qui jonchaient la chapelle. Une odeur de soufre rodait. Il tituba vers l’autel. Là, une volée de marches le conduisit à la crypte. C’était un vrai refuge de moines, tendu de riches tentures, tapissé d’épais tapis rubis et noirs. Les claies débordaient de vins précieux, quelques calices d’or traînaient à même le sol. Un petit Paradis qui sentait la prière …
Un frôlement le fit se retourner.
Une jeune sœur se tenait en bas des marches, stupéfaite de voir l’état et le regard d’illuminé de notre homme.
Elle était venue dans son habit , c’était son tour. Les nonnes du couvent ne rechignaient pas à venir égailler les soirées des moines, le vin et les ripailles ne leurs faisaient pas peur, les tonsurés étaient inexpérimentés et rapides, une sœur pouvait ainsi contenter quatre ou cinq frères.
La longue abstinence de notre pèlerin, le vin, l’émotion de ces instants extraordinaires le délivra de toute retenue. Il caressa longuement les courbes de la jeune femme paralysée par la peur puis, la dénuda brutalement, sans autres manières, il la culbuta sur les coussins. Sa rage de la pénétrer le faisait se démener comme un forcené, elle par ses débattements l’aidait malgré tout. Mais quant il voulu pénétrer dans le temple interdit, elle s’agita si fortement et hurla si fort qu’il cru ne pas y parvenir, c’était sans compter sur l’aident des moines qui, survenus, charmés par la scène, la tinrent fortement.
Elle cria de plus belle sous l’assaut du vaillant braquemart, une plainte qui devint vite un gémissement de bonheur.
Les moines se préparèrent à leurs tours.
Nul était besoin d’aller à Jérusalem pour gagner le paradis.
Bien loin, dans la Sainte Beaume, le vent déchirait les arbres, dispersait la paille des couches, les huis gémissaient.
Les buissons griffaient la source qui s’enfonçait dans l’obscurité.
L'Autre :
La pluie ruisselle sur la robe noire de son cheval.
Les gouttes perlent de son feutre dont la plume s’étiole.
Sa monture s’ébroue, le sort de sa rêverie.
Pourquoi s’acharner sur ces humains qui n’ont besoin de personne pour se damner ? Qui sécrètent tristesse, désespérance, noirceur.
À quoi bon jouer de la foudre, du coquillage brûlant, des stigmates : les hommes ont bien plus d’imagination que moi, se dit le seigneur des mouches.
Pourtant, ils leurs suffiraient de grimper sur les épaules de leurs pères pour voir plus loin.
Ils devraient me remercier de pimenter leurs existences insipides d’interdits, de péchés, de désirs.
Mais, las, ils s’imaginent les plus malheureux alors qu’auprès du Père tout le monde s’emmerde.
La pluie redoubla d’ardeur, on n’entendit plus qu’un sourd galop comme celui des orages qui s’éloignent abandonnant les hommes à leurs comédies.
Quel plaisir trouvaient les hommes à se tourmenter, à ne voir que la noirceur qui les entoure ?
À refuser la beauté de la vie et celle de la terre ?
Demander toujours plus, l’impossible !
En fait, jouir de ses chaînes, gratter ses croûtes, manger sa merde.
Rien que Satan, malgré sa puissance n’eu pu faire.
Ils arrivaient même à salir les Amours les plus purs !
À gâcher les instants miraculeux qui illuminent leur vie, au lieu de remercier le ciel de leur octroyer ces moments sublimes qui en font des Dieux.
Comme les enfants gâtés qui cassent leurs jouets par dépit, ils se mutilent pour brandir leurs moignons, crier leurs souffrances, maudissent leurs sorts.
Oui, les hommes ne méritaient pas mieux que de contempler les boyaux de leurs entrailles éventrées, de se noyer dans leurs vomissures et leurs chiasses puisqu’ils étaient incapables, d’aimer. Qu’ils étaient aveugles et sourds aux autres, aux fleurs, aux sources, à la musique, au ciel ...
Qu’ils ne savaient que geindre, pleurer, se lamenter, gémir,se plaindre, se couvrir la tête de cendre, braire leur malheur !
La brume au loin estompait la chapelle, le vent déchirait la forêt, la pluie transperçait un temps arrêté... °°°
Il se réveilla soudain, la bouche sèche, les narines remplis de ce soufre griffant, les mains tremblantes, nul tapis, ni nonne offerte, uniquement ce chaos, ce tapis de verres coupants, ce désordre omniprésent. Vidé, sa foi dans ces fumerolles épaisses, noirci, abandonné.
Une lueur soudain, un reflet d'or attire son attention. Il s'approche, tend la main et cueille cette bave de custode fondu. Sans réfléchir il la met à l'abri au fond de sa poche, peut être un salut, une porte d 'avenir.
Il ne cherche pas cette crypte rêvé, ce paradis volé, violé, il cherche sa muse, sa bien aimée. Un instant nostalgique, il hésite, retourne dans sa cellule. Rien ne serra comme avant. Plus Personne ne dictera ses pas. Il reprend son bâton, sa marche, il redescend vers l'étendue de ce monde vers l'azur de cet océan de larmes.
Le voilà à la proue de ce navire, les cheveux de nouveau au vent, il scrute l'horizon. Jérusalem, terre promise, Jourdain ,fleuve de mes peines.
Sa bure n' est plus, il revêt à nouveau les habits de son rang. Une maille fine recouvre son torse, son coquillage rangé sur son torse. Le bâton laissé sur cette terre ibérique, de nouveau, l'épée, le braquemart pantelant sur la hanche.
"Quelle folie ce voyage ! "
Tout perdre pour un repenti. Ses pieds meurtris supportent mal ce feutre et ce cuir, mais ne subiront plus les aléas des chemins de traverses. Il dompte la fatalité.
"Terre du Christ, marcheur aquatique,tombe sacrée..., Magdalena, secrète aimante, cueilleuse du linceul... Horizon, quête, mon Graal à portée de main."
Un hennissement se fait entendre du fond de la cale, un destrier robe ébène supporte mal la traversée, et les mouches qui le harcèlent se donnent avec joie à la danse de sa queue claquante. Son maître rode, dans sa cape sombre. Personne ne sait qui il est. Il est l'Autre, une ombre menaçante.
Notre voyageur, lui s'en moque, il se remémore les étreintes de sa bien aimée. Dans sa bulle, les souvenirs de bonheur lui reviennent …
°°° ... les rires de celle qui lui promit fidélité et amour jusqu'à la fin de sa vie, les caresses, sa peau de nacre, ses seins en douces poires juteuses, ses reins au creux des ses mains, son temple, son puits, son odeur de félicité après l'amour...°°°
L'horizon, la terre promise est devant lui. Au bord de l'eau, il quémande la puissance du vent, pour remplir la toile des souffles des grandes traversées . Au bord de l'eau, il quémande la terre promise, l'horizon de ce port si attendu. Il quémande de toucher cette terre ancienne, berceau de sa foi., de son amour.
Enfin le crieur :
" Massalia, droit devant."
Son cœur se remit à battre, entérinant dans le rythme palpitant, ce coquillage fragile et pourtant si fort.
Il abandonna sa quête insensé ce soir là, dans cette chapelle tremblante. Son Graal, c'est sa bien aimée. trop de temps les a séparés, trop de faux semblants. L'absolu vérité n'est pas dans ses terres lointaines, inaccessibles, poussières dorés pour les pèlerins dupés par l'avidité de leur Pierre Romain. Tout ce temps gâché à se rependre de ses croûtes, cette jeunesse bafouée pour un Père que l'on devait manger.
"Source au ma source me pardonnerez-vous ?"
Bien loin, dans la Sainte Baume, le vent déchirait les arbres, dispersait la paille des couches, les huis gémissaient.
Les buissons griffaient la source qui s’enfonçait dans l’obscurité.
Satan depuis des siècles arpentait le domaine de la sainte Baume. On lui dois ce paysage lunaire, ce climat qui oscille entre le four et la glacière, les argéras.
Il y avait logé sa putain préférée. Les crédules l’avaient vite élevée à la sainteté ce qui l’avait réjoui au plus haut point.
Les oratoires qui montent des villages à la grotte, diminuent de taille en fonction de l’éloignement de la vallée : la foi des villageois leurs avait recommandé de porter plus de vin que de pierres. Une multitude de dévots, de marchands, de vendeurs d’amulettes de grigris et d’indulgences, de charbonniers, de minotiers de cades, de soi disant compagnons du devoir, de mineurs, de faiseurs de glace trafiquaient sous la houlette des moines qui régissaient et pressuraient cette foire sous la falaise qui abritait la fameuse grotte sacrée.
Ce bordel perdurait depuis des siècles, Satan n’avait fait que prendre la suite au changement de superstition.
A l’inverse de ce florissant commerce, les fermes des hauts tombaient en ruines, les oliviers se racornissaient sur leurs restanques envahies de chênes kermès, les puits se bouchaient, les sources se perdaient dans les mémoires.
Ils ne restait plus aux renards et aux blaireaux qu’à manger des ammonites.
Quelques mûriers chéris des magnanarelles se tordaient, se fendaient le long des chemins fantomatiques qui menaient à rien. L’air lui même était devenu coupant, la lumière crue, le vent cruel.
Les hommes en avaient cure, seul comptait l’or amassé.
La source :
Elle, elle recherche le réconfort, le refuge. Elle a cure de ces simagrées, de cet or amassé. Elle veut le vrai, le simple, la paix.
Elle chavire, sombre dans cette foret épaisse, elle fuit les hommes ventripotents. S'engouffre dans les failles, dévale les fossés, s'enfonce dans la glaise. Ses bras nus lynchés par les ongles asserrés des broussailles, ses braies laminées par les branches crochues, son sabot englouti par cette boue gluante. Elle rampe maintenant. Se fraie un semblant de chemin sur cette terre inconnue. Elle se déchire, des larmes, des cris. Quand naîtra son repos ?
Épuisée, elle s'arrête un instant. Là un ruissellement, un clapotis discret mais combien rassurant. Elle le cherche mais ne distingue rien dans cette végétation luxuriante, sa vision se trouble. La monopée de la source secrète finit par l'épuiser complètement. Sereine, elle se laisse engluer dans cette mousse salvatrice.
°°°...Elle était là cette fontaine, perdue dans les bois d'une forêt plus que centenaires. Elle était née, un jour d'hiver, où le givre vous fige de ses cristaux. Sa source limpide, coule et s'éparpille entre mousses et feuilles mortes
Un moment, elle a été désirée, bue, canalisée. Un barrage a été dressé mais ,qui peut arrêter le flux d'une source ? sa soif de liberté , de passion, d'amour ?
Elle s'est endormi, s'est perdue dans ces bois profond, terrée, sauvage, à l'abandon. Elle attend, elle attend quoi ?
Un puisatier, son homme parti loin de son cœur. La prophétie peut elle être réalisée ?
La retrouvera -t-il dans cette foret épaisse, passera-t-il les argeras, sautera-il les fossés, gravira-t-il les margelles ?
Et se froid qui la glace, la pénètre, la ronge.
"Oh toi Donnes lui cette chasuble pour le froid, écartes à son passage, les branches qui retiennent, les pierres qui font obstacle. Grattes à sa semelle, son scrupule qui ralentit sa course. Rassures le, il me faut, pour vivre, ce puisatier pour renaître et enfanter. Il saura boire à ma source. La source de jouvence, pour lui et moi."
Sur les contre forts de la Sainte Baume, elle a peur qu'il ne puisse pas trouver la margelle, dernier obstacle à sa résurgence. Elle le regarde grimper, lui porte un regard doux et tendre. C'est son beau puisatier, son Homme...°°°
Une douleur intense la sort de son songe. Ce n'est pas son Homme mais ce sombre cavalier noir qui la chevauche,la pénètre, la viole. Il ricane, bave de rage, son huis est ravagé.
Pourra-t-elle encore espérer ? Elle sombre vraiment.
Neuf mois que ce furoncle lui mange sa chair, il est là prêt à exploser. Sournoisement il a occupé l’espace. D’une cellule puis deux il s’est multiplié. Prolifération d’une vie, mystère de la création, hôte parasite. Il s’accroît.
Elle ne dit rien depuis ce jour où ce cavalier la prise, repliée sur elle même, au fond de cette hutte, elle sombre. Le charbonnier et sa femme dite l’estrassaïre ne savent plus quoi faire. Depuis qu’ils ont secouru cette femme perdue, broyée, coupée de la réalité aussi noire que ce charbon de bois, en loque comme ces vieux chiffons, ils prient chaque jour, que l’enfant qu’elle porte, ne soit pas happé par l’apathie destructrice de cette créature inexpressive et pourtant si belle. Ils veulent de tout leur être qu’elle puisse survive. Uniquement pour devenir enfin des parents. Serré dans leur bras un être béni, chéri, désiré qu’ils attendent depuis que le destin leur a refusé cette genèse de la vie. Ce couple gagne-petit, des oubliés des bois, des linges blancs à la senteur de lavande, ne désirent qu’une chose : garder jusqu’à la délivrance cette femme pour les libérer de l’aridité de la stérilité.
Tant pis si elle veut sombrer mais après. S’il Elle veut, elle pourra mourir mais elle doit attendre la vie, faire croquer le marmot. Et avant que la mort ne la croque à son tour.
Neuf mois qu’elle voit son ventre se déformer, se remplir de ce liquide blanc de vie, furoncle douloureux, fossoyeur des rêves d’autrefois, neuf mois de souffrance et de dégout. Il faut crever l’abcès, faire sortir cet élément p oisseux, libérer la chair, affranchir cet utérus de ce corps étranger et vil. Elle pourra alors peut-être se pardonner, s’absoudre de sa faiblesse concédée dans les bois au premier venu. Ce n’était pas son puisatier, son chevalier dans cette forêt mais ce cavalier sombre qui a volé sa liberté, son espérance. Ce n’était pas elle. Ce n’était pas son futur.
En tant que guérisseuse, elle sait que la libération viendra de cette incision qui videra son ventre de ce pus remuant. Pour reprendre son destin en main Elle doit évacuer, enfanter, abandonner puis oublier. Ne pas se retourner.
Une nuit de délivrance, ce n’est rien à coté d’une nuit de fureur des hommes.
Elle n’a pas crier une seule fois, serrant ses dents en s’en faire sauter l’émail. Les gagne petits prient, l’encouragent. Enfin l’enfant dans cette hutte obscure, vite emmailloté dans ce seul linge blanc précieux doux et propre. Elle ne l’a pas regardé, elle pleure comme ces sources remplis d’un trop plein d’eau après des déluges de pluie torrentielle. Dehors, le froid, la neige, cet enfant naquit un jour d’Hiver dans un silence cristallin.
L’enfant pleure son arrivé dans cette coque d’écorce en sureau de l’oiseleur. La mère pleure au fond de la hutte, son sang entre les jambes. Les charbonniers pleurent de joie d’un si bel enfant donné.
Soudain ce silence de larmes s’étouffe sous des cris de chevaux au galop, d’hommes en arme. La folie des hommes se perdure même dans ses moments de vie.
Le destin se poursuit, l’estrassaire et son mari se précipitent vers la nuit de fureur, n’ont-ils pas vu dans la poudreuse blanche que leur destin noir aller ce finir, se consumer comme leur charbon de bois ? Une épée et les voilà au sol, le sang, ce rouge cramoisi se répand comme des braises incandescentes. Les baies du sureau frémissent. La souillure est irréversible, la neige saigne.
Le silence de larme revient, seul l’enfant fait couler sa peine de ne voir aucun visage sur son berceau. La mère soudain se tarit de la cataracte de larmes. Il n’y a plus de sel. Elle suit cette voie lactée, cet instinct maternel qui ressurgit du plus profond de son âme. Elle sort de son sombre état, de ce fond crasseux, de ce coin reculé de la hutte et se dirige vers les pleurs, la lumière. Et elle le voit enfin : La voit. L’enfant ne pleure plus, elle sourit à la vie, à ce visage familier. Tout peut renaître.
« Tu es ma fille, jamais plus je te laisserai, tu es mon enfant, nous allons partir de ce monde des Hommes, de cette fureur, nous allons nous perdre dans cette forêt, retrouver le calme et la paix. Viens avec moi, serres toi contre mon sein, têtes, ma fille, boit ce lait qui t’est donné. Tu es mon enfant. Tu es Muriel »
Elle était née, un jour d’hiver où le givre vous fige de ses cristaux.
Sa source limpide coule et s’éparpille entre mousses et feuilles mortes.
Un moment, elle sera désirée, bue, canalisée. Un barrage sera même dressé. Mais qui, pourra arrêté le flux d’une source ? Sa soif de liberté, de passion, d’Amours ?
Elle s’est endormie au sein de sa mère, s’est perdue dans ces bois profonds, terrée, sauvage à l’abandon.
Muriel est née mais elle attendra une deuxième naissance, Elle attendra son Puisatier, son Sourcier. La véritable prophétie pourra se réalisée. Elle est Muriel.