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1. Gégène


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Combien de fois rejouer la scène du bon et beau voisin dont le sourire lumineux cerné de magnifiques poils ensoleillés a séduit ma mère. Combien de fois le clap de la séquence où il lui apprend, soi-disant, à conduire sa vaillante deux-chevaux d’après-guerre.
 
Tous ces décors, ces postures dans le fond du tableau de notre existence s’estompent,s’idéalisent jusqu'à la caricature.
 
Il était avant-guerre l’apprenti boulangé qui avait séduit la femme de son patron. Il était beau, il aurait du faire du musical, il devint garde des eaux et forêts.
 
Il s’appelait Fortuné, Roger était son nom de résistant, je l’appelais : Gégéne...................
 
Dans les années 50, ses deux filles, Suzanne et Jeanne qui étaient magnifiques et fraîches, avaient comme petit ami les deux fils de leur voisin et camarade bourgeois, mon père.
 
 Tatite leur mère collait des chaussures et tirait les cartes pour rire. Elle était sûrement plus heureuse au « clôt des fauvettes » avec un mari pistachier que femme de boulanger.
 
Elle avait suivi Fortuné de maison forestière en maison forestière au gré des promotions.
 
Militants cocos, ce qui n’était pas évidant pendant l’occupation,ils imprimaient des tracts à la « mauvaise »  près de Sisteron où leur groupe avait délivré les prisonniers politiques de la citadelle.
 
Pour ce faire, ils s’étaient déguisés en soldats allemands et cette ruse, quoiqu’éculée, avait fonctionné.
Les prisonniers délivrés, dont quelques futurs députés, ont cru, quelques instants,qu’ils allaient être fusillés.
C’est un vieux de Cuges tout racorni et malicieux qui m’a raconté cet épisode en jubilant : -- Je les ai jetés dans le camion à coup de pied dans le cul en criant « vos gueules ! »
Un des futurs députés relata plus tard cet épisode glorieux en omettant les coups de pied et la grosse diarrhée qui l’avait saisi.
 
Tatite avait eu plus de chance que sa soeur Mireille (Lauze) qui avait été déportée et tuée par les nazis.
Je ne comprenais pas quand les grands disaient qu’elle avait été brûlée par les Allemands. Ce drame m’avait terrorisé et cette Mireille a toujours fait partie de ma mythologie.
 
La Gardiolle, ultime maison forestière de gégéne, était cachée dans un vallon aride, entre Cassis, les calanques et Carpiane. Une petite oasis, avec son bassin, sa citerne, une vigne, une volière et quelques ruches.

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L’éolienne distillait un éclairage ondulant et chaud, proche de la lueur des bougies, indispensables, comme le feu dans la cheminée.
 
J’allais oublier la grange de foin où les grands et les grandes allaient dormir et qui leur laisserait des souvenirs.
C’était l’époque des Vaillants, les jeunesses communistes qui encadraient les petits, des sortes de scouts marxistes.
 
Les enfants se baignaient dans le bassin aux eaux boueuses, les grands disparaissaient ainsi que les parents.
C’était l’été provençal avec ses inévitables cigales, son atmosphère de plomb,ses senteurs d’herboristerie, sa couverture d’étoiles.
 
Nous partions en expédition à la calanque d ‘Envau. Nous suivions une sorte de canyon caillouteux et désertique.
Notre plaisir était de s’époumoner en marchant aux pas en hurlant ses chansons plus ou moins cocos que maintenant tout le monde a oubliées.

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Envau est la calanque la plus belle du monde. Un bijou serti dans un silence crépitant.

Gégéne, outre les femmes et les cerisiers, avait la passion des abeilles.
L’hiver, nous allions frapper à leurs portes pour entendre vrombir la ruche.
Le temps de la récolte était une fête avec ses préparatifs et son grand repas
Il prenait soin de ne pas écraser les ouvrières entre les châssis, quand elles le piquaient, il disait que c’était bon pour les rhumatismes. Le soir, nous nous calfeutrions pour désoperculer les rayons avec un grand couteau plat et rond et les centrifuger dans une grosse cuve poisseuse et noire..
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Il faut avoir mordu un rayon de miel au moins une fois dans sa vie.

   

 

2. Gégène...

 

 

                                                        la Gardiolle

 

Gégéne possédait quelques vignes et quatre ruches à Cuges héritées de son père.

Je tiens à rappeler le climat exceptionnel de cet ancien lac.  Cuges garde le souvenir des frimas du quaternaire, d’ailleurs, les autochtones s’appellent des cugelés en hiver, bien entendu et des cujoyeux en été, cela va de soi.

Bien des années plus tard, il fit construire sur les restanques quelques maisons pour ses femmes et ses filles.


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Un lieu qu’il aurait voulu être un paradis d’amitié, entouré de ruches et de cerisiers.
 Il avait l’amour des arbres, une haine, celle des feux. Il  a passé sa vie à les planter dans les collines ou ils ont tous brûlé.

Il confiait, à voix basse, que les pompiers étaient tous des ânes qui ne savaient pas faire de contre-feux.

Je me souviens de son uniforme kaki et râpeux, des gauloises qu’il fourrait dans l’étui à la place du revolver.

À Aubagne, il habitait en face de chez nous, à peine séparé par la route.

Mon Père invitait régulièrement toute sa famille et il n’était pas rare qu’ils restassent la nuit chez nous.  Je n’en sais pas plus.

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Que ma mère ait été la maîtresse de Fortuné, une vingtaine de camarades pourraient en témoigner s’ils n’étaient pas tous morts, mais qu’il soit mon Père est resté pour moi une interrogation sans réponse.

Je guette tous les soirs la réponse dans le miroir qui me voie vieillir et peut être un jour ressembler à l’un d’eux.

J’étais allé le voir à Cuges l’été de sa mort., où, puni par la où il avait péché, il s’agitait, torturé par un cancer de la prostate terminal.

Il pestait contre ceux qui oubliaient de traiter la cloque du pêcher avant le débourrage, s’indignait que son traitement l’ai métamorphosé en vieille ; impuissant.

 Il rugissait : -- « J’étais un lion !

Mon père, à quatre-vingt-trois ans, allait de Cuges à Cassis à pied voir sa maîtresse ! je reste ici, cloué par ma sonde et la fatigue. »

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Il avait beaucoup maigri, il savait.

Après mon départ, il allait voir Jeanne pour lui dire « Il ne vient pas parce que je vais mourir, mais pour savoir si je suis son Père. »

Il m’a toujours répondu avec une double hypocrisie : «  Je ne peux rien te dire : je l’ai promis à ta mère »

Lui qui n’avait eu que des filles, j’aime à croire qu’il espérait que je fusse son fils.

Pour toute sa famille, c’était évident.


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Et puis, à la fin de l’ été, mon ami Fortuné est mort au champ des cigales.

      Lui qui aimait si fort la vie.

      Lui qui a planté tant d'arbres et semé tant d'enfants.

      Lui qui aurait aimé profiter encore un tout petit peu plus de la "beauté des choses ". S'il avait cru au paradis, il l'aurait voulu plein de chansons et de joie avec beaucoup de collines, de cerisiers, de ruches, d’amis. Il est tombé comme la feuille de l'arbre : doucement, à regret, à jamais.

Fortuné.


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Pendant longtemps j’ai regardé mes cheveux bouclés comme les siens, j’aime les arbres, les femmes et je chante juste.

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3. Enfant désiré

 

Je ne suis pas un enfant désiré.

Mon ami Raymond aurait dit :  « tu es un tanfaillon comme moi »

Mes parents ne s’aimaient plus, mon père avait donné à  la fille de sa femme de ménage le même prénom qu’à l'a sienne, à juste titre. Ma mère apprenait à conduire assidûment avec notre voisin comme on l'a vu, bref, rien n’allait plus.
Au début, elle a cru que c’était les premiers signes de la ménopause, puis il fallut se rendre à l’évidence, voir la catastrophe.

Mon Père avait des principes d’avant-guerre même après. Pour lui, l’avortement était criminel. Il fit une exception pour son cas personnel.

Elle connaissait le jour et l’heure de ma conception puisque mon père était parti à Paris soigner une paralysie faciale à frigoré et qu’ils s’étaient réconciliés à son retour, ce qui explique que je suis né prématurément pesant pourtant quatre kilos cinq.

 

Ma Mère recula devant le froid du spéculum. Elle me raconta tout ça par le menu quand j’étais petit enfant, et cela, je suppose, m'a bien aidé à devenir ce que je suis.

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Ils tinrent encore dix ans avant de se séparer, le temps de m’enseigner l’art du ping-pong verbal et celui de la mauvaise foi.

 

 

4. Peypin-d'Aigues.

 

 

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Ma mère s’exila au fin fond du Luberon à Peypin-d’Aigues.

Il est à noter que moins il y a de l’eau, plus les noms l’évoquent. 

 Un an à grandir, illuminé par Mademoiselle Felix l’institutrice du village.

Elle était comme ces maîtres décrits dans les livres.

Grande, maigre, dévouée à la laïcité, pure comme au sortir de l’école normale.

Elle s’est acharnée à faire de moi un enfant qui sache lire, écrire et compter.

Sans elle, je serais devenu,  qui sait, un peintre ou un artiste.

Tous les soirs, à l’école, chez elle, j’apprenais par cœur les listes de mots du Bled.

Peypin était encore un village avec des chevaux, des troupeaux de moutons ou de chèvres et les ordures étaient jetées dans la ribe à vingt mètres en contre bas. 

. Nous étions une dizaine d’élèves à l’école,  de la maternelle à la préparation au certificat d’études.

. C’était une école typique ( Ferry ?)

Avec les Peypinnois j’ai vite appris à voler les cerises et à me masturber avec le groupe derrière le temple.

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C’était le temps de la catéchèse, j’avais obtenu l’autorisation du curé d’y participer, quoique non baptisé.

Il venait le jeudi après-midi. Nous guettions la venue de sa Dauphine rouge zigzagante sur la grande ligne droite qui grimpe au village.

Nous étions les derniers à l’accueillir,l’enseignement des évangiles donne soif dans un pays où les villageois offrent un coup à boire volontiers.

Grâce a lui, comme tout le monde, j’ai pissé dans le bénitier, mis du soufre dans l’encensoir, soufflé très fort les bougies pour que Lionel ait plein de cire dans les yeux.

Nos occupations préférées étaient de déquiller les rares ampoules de l’éclairage public au lance-pierre ou de se battre à coup de melons fendus et pourris dans les remises.

Ah ! L’odeur des remises. Ce mélange lourd d’insecticide, de soufre, de fermentation, de chaleur poussiéreuse.

Nous partions en expédition dans les collines, notre Graal était l’œuf de pie.

En fin d’après-midi, assis sous le platane du village, nous attendions Annie.

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Elle devait aller jeter les ordures,savait qu’elle serait obligée de passer devant nous et que nous serions là.

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Elle descendait, stoïque, concentrée à ne pas frotter sa jupe bleue contre la poubelle, passait devant nous. Un « Annie, tu devrais acheter un rasoir » claquait.

Des années plus tard, je l’aie rencontré, elle avait épousé un de ces garçons imprudents.

J’aime à croire qu'il paye pour nous tous.

 

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